Le syndrome de l'imposteur
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Le « petit problème » de Faustine Noël

Le « petit problème » de Faustine Noël

Médaillée d’argent en double mixte aux Jeux paralympiques de Tokyo, la badiste a mis longtemps à accepter son handicap. Donc sa place dans les compétitions handisports.
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Elle semble évoluer comme sur un fil, toujours en équilibre. De plus en plus stable. De plus en plus assumé, en tout cas.  « Mon sentiment le plus fort, c’est que je suis un peu le cul entre deux chaises », résume-t-elle d’emblée.

Un équilibre physique, d’abord, dans cette légère boiterie qui paraît s’estomper dès que Faustine Noël pénètre ce jour-là sur l’un des huit courts de la +2Bad Arena de Cesson-Sévigné, dans la banlieue de Rennes. Unique signe de ce handicap neuromoteur qui l’accompagne depuis sa naissance il y a trente ans : « C’est dû sûrement à ma prématurité, explique-t-elle d’une voix franche et affirmée, une large écharpe autour du cou pour se préserver de la fraicheur matinale qui enserre la halle aux parois métalliques. Mon système nerveux ne commande pas très bien, en particulier ma jambe droite et ça me crée de la spasticité. Concrètement, c’est quand un muscle se contracte trop fortement par rapport aux stimuli qui lui sont donnés. Cela peut entraîner des raideurs et un manque de fluidité dans les mouvements. » Un handicap léger qui peut cependant enfler selon les conditions, « le froid, la chaleur, la fatigue, le stress, les émotions fortes, détaille-t-elle. Même la joie ! »

Faustine

NOËL

MAIS Le fil sur lequel avance Faustine Noël est avant tout mental. Et lié à sa pratique du sport.

Jusqu’à ses 10 ans, la Nantaise préfère se nourrir des joies du théâtre, de l’expression corporelle et des arts plastiques. « Et puis, j’ai découvert le badminton, lance-t-elle, un sourire dans la voix. Mes parents en ont toujours fait, je trainais dans les salles et j’ai fini par essayer. Ça m’a plu, le volant qui va très vite, les réflexes, cette notion de combat face à l’adversaire. » Elle se fond alors au milieu des valides. Elle s’y sent bien, comme chez elle. « Au début, tout le monde avait le même niveau, il n’y avait pas de jugement, on jouait tous ensemble pour le plaisir. J’appréciais le fait qu’il n’y ait pas de barrières. A l’école, c’était plus dur, la notion d’évaluation avait pris le pas sur celle de performance. » Les premières compétitions vont venir dérégler cette belle harmonie.

Certains de ses camarades de club sont repérés, pris en charge par le comité départemental, ils intègrent des pôles. Pas elle. Et même si elle avoue qu’alors, elle n’était pas attirée « plus que ça » par le haut niveau, cette différence l’interpelle. « Mais je n’ai jamais fait le lien avec le handicap. Je savais que j’avais quelque chose, je ne l’ai jamais nié. Depuis toute petite, j’ai passé tellement d’heures chez le kiné… Mais j’étais née comme ça, c’était ma normalité. »

«

Dans ma famille, on disait que j’avais un petit problème, c’est tout.

»

FAUSTINE NOËL

Joueuse de badminton française

Sur un tournoi valide, alors qu’elle évolue à « un niveau moyen départemental », elle est repérée par Sandrine Bernard, la coach de l’équipe de France handisports.

Lucas Mazur, qui deviendra son partenaire en double mixte, joue les messagers. « Ils avaient vu que je boitais donc il m’a demandé si j’étais blessée ou si je souffrais d’un handicap, se souvient-elle. Je lui ai répondu, comme à tout le monde, que j’avais un petit problème. » Impossible pour elle de se considérer comme handicapée. « Ça n’était pas imaginable, se défend-elle. J’avais cette image du fauteuil et pas la notion de handicap debout. Et puis, de toute façon, le mien était trop léger pour que je puisse en faire partie. » Sur un autre tournoi, Mazur revient à la charge. « Il m’a parlé de catégories, de voyages, de tournois internationaux. Forcément, ça m’a attirée. » Elle entreprend donc les démarches, obtient sa classification (SL4) et découvre un nouveau monde.

«

C’était joyeux, bienveillant, tout le monde s’assumait. J’ai tout de suite eu envie d’être assez handicapée pour rester dans ce milieu-là.

»

FAUSTINE NOËL

Ce pas franchi aurait dû mettre fin aux montagnes de questions qui embrument son esprit. C’est en fait tout l’inverse. « A partir de là, il n’y a qu’une chose qui m’importe, dit-elle. Est-ce que j’ai vraiment ma place ? Et, surtout, est-ce que je ne prends pas celle d’une autre ? » « Dès le début, elle a douté, se souvient son entraîneur de toujours Loris Dufay. Il a d’abord fallu la convaincre de faire confiance aux gens missionnés pour décider de son éligibilité, de lui expliquer que ça n’était pas elle qui était habilitée à dire oui ou non. »

Faustine Noël en compagnie de son entraîneur Loris Dufay.

En 2015, elle s’impose dès son premier tournoi international, en Irlande.

Et dans la foulée, décroche la médaille d’argent aux Championnats du monde en Grande-Bretagne. « C’était limite un peu facile, reconnaît-elle. Ça m’a fait douter encore plus de ma démarche. Je ne m’entraînais que deux ou trois fois par semaine, ça n’était pas trop poussé et pourtant, je faisais des trucs énormes. Je savais que je n’avais pas un niveau de ouf donc je dévalorisais mes performances. »

«

Ce qui était dur, c’est que je me comparais encore aux valides.

»

FAUSTINE NOËL

Pour Faustine Noël, tout se bouscule. L’annonce en 2016 de l’entrée du badminton au programme des Jeux paralympiques quatre ans plus tard à Tokyo est un vrai booster.

« Au début, faire du bad à l’international, c’était une découverte, une aventure. Là, c’est devenu une évidence. J’ai intégré l’équipe de France, j’ai pu être aidée financièrement et m’entraîner beaucoup plus régulièrement. C’était comme dans un rêve. » Mais un rêve de façade. Car au fond d’elle, rien n’est réglé : « On n’en parlait pas énormément mais quand elle gagnait, je savais qu’elle culpabilisait », ajoute Loris Dufay.

«

Il a fallu travailler sur ça pour qu’elle se sente légitime.

»

Loris dufay

Entraîneur Adjoint de l’Équipe de France Parabadminton

Faustine Noël à l'entraînement à Cesson-Sévigné.

La tâche est ardue. Pour la Nantaise, tout part d’un malentendu.

« Quand on me demande ce que j’ai, c’est naturel pour moi de répondre que je n’ai rien. Donc comment justifier que je sois passé en handisports ? C’est tout sauf logique. » Sa pratique est parasitée par cette impression de « pas assez ». Voilà pourquoi elle va passer par tous les stades du syndrome de l’imposteur. « On vit avec, on y pense souvent, on rumine. » Elle va surjouer son handicap, avoir « limite peur de gagner parce que ça validait le fait que je n’avais rien ». Jamais elle n’a franchi le pas de laisser filer des points mais elle pense « que ça a bloqué certaines phases de concentration ».

Pour sortir de cette funeste spirale, Faustine Noël fait appel à un préparateur mental. Avec lui, elle travaille sur elle-même mais aussi sur la notion de handicap et ses conséquences sur sa pratique du para-badminton : « On a regardé beaucoup de vidéos et j’ai compris qu’il y avait un impact sur mes mouvement, sur mes déplacements. Parfois, je le sentais mais d’autres fois, ça allait super bien, c’était très perturbant, ça me mettait un brouillard dans la tête. Avec les images, ça te saute aux yeux, tu vois que tu ne termines pas ton mouvement comme il faut, que tu as du mal à te replacer. Au début, il m’est même arrivé d’être tellement stressée sur le court que je ne pouvais plus bouger, j’étais tétanisée. Ces limites existaient mais je pouvais les dépasser en travaillant. Avec mon entraîneur, on a tout repris de zéro, je me suis réinventée. »

«

Maintenant, je sais parfaitement ce qui se passe dans mon corps et dans ma tête.

»

Huit ans de pratique de haut niveau plus tard, Faustine Noël va bien.

Etudiante en kinésithérapie, elle regarde désormais avec appétit vers les Jeux paralympiques de Paris, où elle visera une médaille en simple et une en double mixte avec Lucas Mazur (ils avaient décroché l’argent à Tokyo). Convaincue, elle le jure, d’avoir fait le bon choix. « Petit à petit, ça s’est lissé et maintenant, je suis équilibrée. Mais c’était un cheminement intellectuel très fort et très long, ça a bien duré trois ans. »

Lucas Mazur et Faustine Noël, médaillés d'argent en double mixte en 2021 à Tokyo.

Elle a aussi compris que certaines de ses adversaires, bien qu’évoluant dans la même catégorie, pouvaient être moins impactées. Et qu’elle n’était donc pas avantagée. « J’apprends encore, je progresse encore mais je ne me prends plus la tête avec mon petit problème. » Elle s’arrête et rectifie. « Je porte le mot de handicap sans que ça m’affecte plus que ça. Et quand on me demande si je vais aux Jeux cet été, je précise que c’est aux paralympiques. Parce que si on ne fait pas l’effort de mettre ce mot, on ne fait pas l’effort de l’accepter et que ça devienne un mot normal. »